L’histoire à l’école
Je ne sais pas si vous vous souvenez de vos cours d’histoire d’école primaire et d’après. Les miens étaient donnés par des instituteurs de province profonde proches de la retraite, un moment dans la vie où il est d’usage d’user des conservateurs. J’éprouve un certain malaise à me souvenir de l’un d’eux qui passait les heures d’éducation physique à faire marcher sa classe au pas. Au sens premier de l’expression. Pour les garçons, ça vous facilitera le service militaire. J’ai eu la chance d’y échapper, cet enseignement ne m’a donc servi à mesurer cette chance.
Décidément, je me demande de plus en plus si mon école ressemblait aux autres, mais j’espère sincèrement que c’était le seul recueil de détraqués du béret, de molestateurs pervers, d’obsédés du châtiment corporel pour « oubli de remettre son cahier du jour » et de pedo-sadiques.
Revenons à l’histoire. Pardon, l’Histoire (parfois, on ne sait plus). Belle linéarité d’une mythologie d’un territoire et d’un peuple français qui est merveilleusement, et de toute éternité, sont délimités par des frontières naturelles et parfaites, rendant toute conquête ou amputation intellectuellement inconcevable. Et puis, ces fameux Gaulois, qui sont devenus des Gallo-Romains pour assurer la césure, ce bon Vercingetorix vaincu. Cette succession de rois qui ont su conserver intacte cette chose éternelle qu’est la France (métropolitaine, il s’entend). La Révolution fut salutaire (malgré le mérite du Roi Soleil et de Colbert) car elle permit l’avènement du grand Napoléon. Après cela, l’histoire de France s’était écoulée au rythme de la menace prussienne, puis allemande.
Des cours d’histoire pour les plus grands
Ce n’est qu’à l’Université que, au hasard des options choisies, on commence à donner un peu de relief à tout ça. L’histoire-mythe enseignée dans les écoles se mue tardivement en Histoire scientifique (même si l’on parle de science molle). L’un de ces historiens s’appelle Henri Guillemin. Dépouillé de tout pré-supposé, il a plongé au fond des sources qu’il ne se contente pas de citer, c’est là qu’intervient l’étude critique. Les sources textuelles ne sont jamais neutres elles-mêmes, une loi de prohibition répétée ne reflète aucunement la réalité, bien au contraire, elle montre l’impuissance du pouvoir à l’appliquer. Ce qui reste de lui de plus accessible sont des conférences (audio ou video) que l’on peut retrouver sur la toile.
La seule vidéo présentée ci-après donne la juste mesure de ce que l’on en attendra.
C’est une bien triste conclusion d’une quinzaine d’entretiens rondement menés et argumentés.
Quelques autres idées reçues seront dare-dare battues en brèche par l’historien. On pourra y voir une lecture de l’histoire emprunte de marxisme (liens ci-dessous). Certes, le degré zéro, la neutralité totale du travail historique serait une illusion. Mais ce qui mène M. Guillemin à ses conclusions sont des citations, écrits et propos de personnages historiques que l’on ne pouvait taxer de gauchisme. La conclusion est orientée, mais les sources qui nous y conduisent ne le sont pas forcément. D’autre part, son analyse a l’honnêteté de reconnaître les torts des personnages qu’il loue.
Propos sur la neutralité en histoire ou en politique
S’il arrive souvent aux conservateurs de taxer de gauchisme certains intellectuels, s’il arrive souvent aux médias de renvoyer dans l’extrême-gauche toute idée qui sort du prêt-à-penser ambiant, il ne faut pas oublier que ceux-là même qui semblent évacuer vers l’extérieur des pans entier de la pensée, eux-aussi sont partisans, parfois sans le savoir, d’un conservatisme, c’est-à-dire d’un attachement aux idées en vogue. Où ce trouvera le milieu ? Peut-être que ce degré zéro n’existe pas.
Être neutre, c’est davantage concéder une modération sur les idées courante (ethos) qu’une absence totale de parti-pris. Pour reformuler, la neutralité n’existerait pas en elle-même, les idées neutres seraient celles qui ne dépareillent pas avec l’idéologie dominante et intériorisée par tous. Pour diversifier le lexique, je pourrais me risquer à écrire que la neutralité de la pensée (historique, politique), pour le penseur lui-même, n’est que la conjonction de l’ethos (culture du groupe social d’appartenance) et des habitus (conditionnement social).
Trêve de structuralisme. On retrouvera sur Youtube une série assez longue de vidéos et enregistrements audio. Le site rts.ch fournit également des enregistrements. De Jeanne d’Arc à Petain en passant par la commune, il nous fait redécouvrir l’histoire de France et nous explique ce qui est trop laid pour être raconté aux enfants dans les écoles. L’Histoire qui ne ment pas, elle, est toute faite de meurtres, de trahisons, de conflits d’intérêt et de prévarication. Défauts au titres desquels, des gens qui se connaissaient sans s’entretuer envoyaient se faire tuer par milliers des gens qui ne se connaissaient pas. Trop le dire ferait sûrement peser sur nos gouvernements récent des doutes qui ne feraient pas du bien aux taux d’abstention.
Changement d’époque, effet comique garanti ! Ne cherchez pas, tout est dans le sourire.
Risquons-nous à une conclusion
A l’heure où Stephan Bern nous livre ses Secrets d’histoire d’aristocrates faisandés et de noblillons prévaricateurs et débauchés, à l’heure où la principale source d’information des populations passe par cette vision d’une histoire en deux dimensions, une histoire qui colle au parterre des seules qualités de chacun, je suis heureux de vous faire part des quelques pépites qu’Henri Guillemin a laissés à la postérité. Mais l’Histoire n’a pas changé, les horreurs qu’il racontent se poursuivent et sont bien cachées derrière l’apparat des symboles et des mythes actuels.
La différence entre ces deux histoires-là, c’est que l’une singe la vision que nous nous faisons du passé, tandis que l’autre nous invite à comprendre le présent au moment-même où il commence à glisser, jour après jour, dans ce demi-oubli que l’on appelle l’Histoire. Demi-oubli car, la vérité peut être cachée, ce qu’il en restera, ce seront les traces laissées par des protagonistes qui, eux, ont un parti.
Quant à moi, quelques années après, je ne sens tout de même plutôt bien en l’écoutant.